Emmené par son charismatique leader Olivier Araste, le groupe Lindigo diffuse depuis 1999 un maloya festif et aventureux, prêt à tous les métissages. Leur nouvel album, Komsa Gayar, s’aventure ainsi à Cuba, sur les terres de la rumba. L’occasion pour nous de revenir sur le parcours d’un des groupes les plus populaires de la scène réunionnaise actuelle.
Pour Olivier Araste, quadra à l’enthousiasme inaltérable, le maloya, ce blues ternaire hérité des esclaves malgaches et africains, est un art de vivre au quotidien : « c’est ma famille, c’est mon quartier, c’est mes ancêtres, c’est ma vie ! »
Originaire de Paniandy – un quartier malgache de Bras-Panon, dans l’est de l’île, Olivier Araste a en effet grandi entre un père chef tambour dans les cérémonies malbars (des descendants de tamouls venus d’Inde pour travailler dans les champs de canne) et un grand-père maternel qui jouait de l’harmonica dans les servis malgas, l’équivalent des servis kabaré créoles. Des cérémonies où l’on danse et où l’on chante le maloya toute la nuit, pour communiquer avec les ancêtres ou raconter la vie de tous les jours. Olivier Araste en anime depuis l’âge de 12 ans : « Soixante-dix personnes font les chœurs et il y a une voix lead, sans micro bien sûr. Alors tu te défonces le gosier, mais quand tu y arrives, tu es chanteur de maloya. »
Olivier Araste est ce maloya man du XXIe siècle : attaché aux valeurs traditionnelles de la Réunion, à son histoire, engagé dans la reconnaissance de cette musique, œuvrant à son renouveau.
Dans l’hexagone, on découvre Olivier Araste et les sept membres de sa joyeuse troupe, en 2012, à la faveur de l’album Maloya Power. À l’époque pourtant, le groupe qui mise tout sur l’énergie collective, celle des questions-réponses, a déjà trois opus à son actif (dont Lafrikindmada) et des nuits mémorables de concerts aux quatre coins du monde : des États-Unis à l’Australie, en passant par le Brésil, la République Tchèque ou le Maroc où, en 2009, il a fait la première partie de la formation hip-hop américaine Arrested Developement au Festival Gnaoua et Musiques du monde d’Essaouira.
À la Réunion, où le maloya est l’un des deux courants musicaux majeurs avec le Sega, ses expérimentations surprennent, mais fédèrent aussi, les communautés comme les générations. Car dès sa formation, Lindigo s’est aventuré à explorer les racines malgaches du maloya : « Au début, en 1999, il fallait oser chanter le maloya en créole et en malgache. Mais les gens se sont retrouvés dans ce mélange avec le salegy (NDLR Rythme typique de Madagascar) et dans notre premier album Misaotra Mama en 2004. Alors des deejays nous ont demandé des morceaux pour les remixer et nous sommes allés les jouer en live. Du maloya en discothèque, c’était trop bizarre. Mais les gens devenaient fous ! »
Réalisé par le musicien et composteur Fixi (Java, Tony Allen, Winston Mc Anuff), rencontré trois ans plus tôt au festival Sakifo, Maloya Power est l’album de l’ouverture au monde. Aux traditionnels roulèr, kayamb et autres piker, viennent s’ajouter la basse, la batterie, le balafon, l’accordéon, le mélodica où le guembri qui, sur le titre Lamour par exemple, vient orner la structure classique du maloya de digressions dub. « Avant, on pensait moderne, mais on jouait traditionnel. Fixi a su nous aider à rendre notre musique moderne tout en la gardant authentique. Il nous a poussés à nous dépasser, à explorer d’autres sonorités. Il nous a permis cette liberté et l’a en même temps canalisée. »
Fixi, avec « son accordéon magique », sera de nouveau aux manettes, en 2014, pour le 5e album du groupe. Milé Sèk Milé (« Je suis ce que je suis ») est enregistré en trois jours, avec les roulèrs (tambour basse) posés à même la terre, dans une « kaz » de bambou, à Sainte-Suzanne, au nord-est de La Réunion. La cour est remplie d’enfants, d’amis, de granmouns (d’anciens) et même de moringueurs, les lutteurs réunionnais, pour « l’émulation guerrière ». Car avec cet opus, Lindigo renoue dans le texte avec l’esprit combatif du maloya. Il y est question de racisme, de surconsommation, de pollution, de respect des traditions, mais également et surtout d’affirmation de soi. Parfois critiqué sur l’île pour sa musique très festive et moins militante que celle de ses aînés, Olivier Araste met les pendules à l’heure : il est ce « maloya man» du XXIe siècle, attaché aux valeurs traditionnelles de la Réunion, à son histoire, engagé dans la reconnaissance de cette musique, œuvrant à son renouveau.
L’année 2016 résume à elle seule cet état d’esprit, celui d’un maloya enraciné mais émancipé : Lindigo s’acoquine avec Fixi et Cyril Atef (batteur notamment de Bumcello et de CongopunQ) pour créer ‘Pachibaba‘ (« par ici, par là-bas » en créole réunionnais) et avec le groupe d’électro-tropicale Skip&Die pour le titre ‘Maloya Magic‘.
Deux de ses membres, Jori Collignon et Gino Bombrini, signent aujourd’hui la réalisation de l’album Komsa Gayar (« comme ça c’est bon »), fruit de rencontres complices au pays de la rumba.
L’histoire de Komsa Gayar commence en avril 2017 : pour la première fois de sa carrière, le combo réunionnais est invité à jouer à Cuba, à l’Havana World Music Festival, et décide d’en profiter pour enregistrer son nouvel album : « Moi, explique Olivier, j’étais touriste là-bas, je connaissais rien de l’histoire de Cuba et de ce peuple avec lequel on partage les mêmes racines. Pour moi c’était salsa, caliente, le côté festif. Et puis on nous présente Los muñequitos de Matanzas, une famille de musiciens qui tournent depuis 65 ans. Ce sont des pointures, ils ont eu un Grammy Awards ! Ils nous invitent chez eux et là j’ai pris une grosse claque. Déjà, cette ville de Matanzas (NDLR Souvent considérée comme « la ville la plus africaine de Cuba ») n’a rien à voir avec la Havane, on a l’impression de ne plus être à Cuba. Et puis, on les regarde, ils nous ressemblent. Ils nous regardent, ils pensent qu’on est cubains. Ils ne savent pas où est la Réunion. On leur a cuisiné un massalé coq, on leur a joué du maloya, ils nous ont fait écouter de la rumba. On s’est mélangé, on s’est retrouvé. Au moment de se dire au revoir, on s’est dit qu’on ne pouvait pas les quitter comme ça. On allait enregistrer à la Havane au studio de Pablo Milanes et on leur a proposé d’y passer avec leurs tambours bata (NDLR Introduits par les esclaves Yoruba qui arrivèrent à Cuba au XIXe siècle en provenance de l’actuel Nigeria. Ils ont une fonction religieuse et sont joués au cours de cérémonies en l’honneur des divinités Yoruba appelées Orishas). Ils sont venus et tout s’est fait naturellement. Le titre ‘Anihama’, je l’ai écrit en studio, j’ai mélangé le créole et mon espagnol et on a improvisé. Ça a fait sonner nos affaires leurs caisses de poissons (NDLR Servant de tambour basse ou tumba) ! »
❝On parle beaucoup de nos racines malgaches à la Réunion, mais le côté kaf, le côté africain, on le connaît pas, c’est un mystère pour nous, un point d’interrogation.❞
N’en déplaise aux grincheux donc, Olivier Araste continue de faire de la musique comme il cuisine : en ajoutant de nouvelles épices. Au contact des Cubains de Los muñequitos de Matanzas (présents sur trois titres), son maloya se teinte de rumba. Arrangé par Fixi, il se fait reggae (Zamé Kontan). Avec Gino Bombrino au kabossy (petite guitare carrée faite de divers bois et de peau de zébu), il nous emporte dans la transe des tromba (cérémonies malgaches en mémoire des ancêtres). Quant au blues Si Solman, il voit Yarol Poupaud (guitariste de FFF et de feu Johnny Halliday) accompagner trois générations de voix pour célébrer l’amour maternel : Olivier, l’un de ses fils et un invité de choix, chantre du maloya, Danyel Waro. « Danyel c’est un poète, un monument à lui tout seul. Il encourage la jeunesse, il donne à chacun sa chance. Pour moi, un grand artiste c’est ça. Avant d’être un grand maloya man, c’est un grand monsieur. C’est la première fois que nous enregistrons un titre ensemble. Comme un petit marmaille (un petit enfant, en créole) qui attend le père Noël, tu vois, je lui ai demandé et il a accepté. Il a chanté avec son cœur, j’ai chanté avec mon cœur, il y a le respect et l’amour dans tout ça. C’est là que c’est bon. »
D’amour, il est décidément beaucoup question ici. Pour Laurianne, qui partage sa vie à la ville comme à la scène (‘San ou’), pour le temps perdu de l’enfance (‘Souvnans’), pour la famille et les amis de Madagascar (‘Ngoma Anao’, « je pense à toi » en malgache), et bien sûr aussi pour le maloya (‘Maloya Pli O’) : « le maloya portera plus haut si on arrête de se tirer dans les pattes. Il faut se réunir, se rassembler. J’ai l’espoir. Le maloya, ça te fait vivre, ça te donne le courage, c’est bon pour le moral, pour le cœur et l’esprit. Les ancêtres nous ont donné un truc magique comme cadeau, nous nous devons d’en faire bon usage. »
Si Olivier Araste tire son intarissable énergie de la richesse des traditions de son île, c’est bien par l’esprit des ancêtres qu’il est porté. Sur ‘Bondie Anou’, il appelle à garder vivante les mémoires familiales des descendants d’esclaves : « On parle beaucoup de nos racines malgaches à la Réunion, mais le côté kaf, le côté africain, on le connaît pas, c’est un mystère pour nous, un point d’interrogation. Quand on fait nos cérémonies d’hommage aux ancêtres, quand on regarde la mer, quand on regarde l’horizon, quand on voit un bateau on pense à ça, on se dit : d’où sont-ils venus ? Par où ils sont passés ? Où ont-ils fait escale ? Laurianne et moi on défriche le sentier pour nos enfants. Un jour j’espère, ils auront la vérité. »
Est-ce auprès d’artistes du continent africain que Lindigo ira puiser la sève de son prochain opus ? Peut-être : « J’ai envie de ça. L’Afrique, j’ai soif de ça. Mais par où commencer ? De quel côté aller ? » s‘interroge Olivier Araste. Patience. Lindigo n’a jamais forcé les rencontres. Il n’a juste eu de cesse de « laisser le ker causer ».
Lindigo, Komsa Gayar, disponible sur Helicomusic
En concert le 21 mars au New Morning, avec, en première partie, six des membres de Los Munequitos de Matanzas.